La situation de l'armée est très préoccupante. La querelle sur les finances entraîne une forte polarisation dans tous les camps politiques. A cela s'ajoute le fait que certaines parties prenantes craignent les coûts et s'accommodent donc très bien de cet imbroglio. Nous allons voir ci-après comment l'armée obtient son argent et comment elle peut le dépenser.
La situation de l'armée est extrêmement préoccupante. Elle manque actuellement à la fois de liquidités pour remplir comme prévu toutes ses obligations financières et de perspectives financières viables. Cette situation est désormais connue, même si elle ne semble pas inquiéter tout le monde de la même manière. Ce qui est inexplicable, en revanche, c'est que les milieux bourgeois du Parlement demandent plus d'argent pour l'armée par le biais d'interventions, mais choisissent pour leurs décisions des formats qui, même en cas d'acceptation, ne seraient pas contraignants pour le Conseil fédéral et sa budgétisation. La demande d'un pour cent du PIB d'ici 2030 et la motion 22.3374 (Salzmann) auraient certes constitué un "signal très fort" pour le Conseil fédéral en cas d'acceptation, mais l'argent n'aurait pas afflué plus rapidement pour autant. Si le Parlement était sérieux, il utiliserait les instruments prévus par la loi sur les finances de l'Etat pour la répartition des finances publiques. Il est en effet lié par cette loi, tout comme le Conseil fédéral d'ailleurs.
Pour que l'armée puisse investir, le Parlement doit approuver les crédits d'engagement correspondants. Le terme est ambigu, car malgré le terme "crédit", il ne s'agit pas d'argent, mais d'une autorisation donnée à une unité administrative de "contracter des engagements financiers pour un projet déterminé ou un groupe de projets de même nature, jusqu'à concurrence du montant maximal autorisé" (art. 21, al. 3, LFC). En règle générale, des crédits d'engagement doivent être demandés lorsque l'exécution d'un projet entraîne des paiements au-delà de l'année budgétaire en cours, ce qui est généralement le cas pour l'acquisition de matériel d'armement. Il est expressément souligné que le crédit d'engagement ne permet pas d'effectuer des paiements. "Pour les paiements, il faut des crédits budgétaires (crédits de paiement) qui doivent être demandés chaque année dans le budget de l'armée et décidés par le Parlement". En clair, cela signifie que pour pouvoir payer quelque chose - par exemple l'achat de matériel d'armement - des crédits budgétaires doivent être demandés, sur lesquels le Parlement se prononce chaque année lors de la session d'hiver pour l'année suivante. Il est donc évident qu'une motion qui oblige le Conseil fédéral à faire quelque chose ne peut pas déclencher un déblocage immédiat de fonds.
Les coûts d'exploitation comme facteurs de coûts
Même si tous les conseillers nationaux de l'UDC et presque tout le centre avaient voté en décembre pour l'augmentation des dépenses de l'armée à un pour cent du PIB au 1er janvier 2030, l'armée aurait aujourd'hui son problème financier. Les programmes d'armement se déroulent presque sans exception sur plusieurs années. Pour pouvoir convenir de taux et de plans de paiement avec les fournisseurs, l'armée a besoin de perspectives financières prévisibles et crédibles. Depuis 2016, le Parlement accorde à l'armée, au début de chaque législature, un plafond de dépenses pour quatre ans. Celui-ci détermine les moyens financiers que l'armée doit recevoir au cours de cette période. Le plafond de dépenses actuel 2021-2024 s'élevait initialement à 21,1 milliards de francs. Il a toutefois été augmenté de 600 millions de francs à la lumière de la guerre en Ukraine. Si l'armée n'avait pas lancé de programme(s) d'armement pour 2023/2024, comme cela était prévu à l'origine après l'acquisition des F-35/Patriot, elle aurait perdu toute crédibilité. Sous la pression des attentes, les acquisitions ont donc été avancées ou relancées. Un plafond de dépenses est une directive de planification contraignante pour le Conseil fédéral, mais il ne libère pas non plus de moyens pour l'armée. La voie du crédit budgétaire annuel est obligatoire. Des exceptions seraient certes possibles, mais elles restent réservées à des cas imprévisibles comme Covid-19. L'argent accordé à l'armée par le biais des crédits budgétaires annuels doit lui permettre de couvrir ses dépenses, c'est-à-dire de payer les armements commandés, d'assurer son fonctionnement et de financer des projets de construction (immeubles). Si, comme c'est le cas actuellement, les coûts d'exploitation augmentent de manière imprévue, il faut par la force des choses payer d'abord les factures les plus urgentes avec les moyens disponibles et reporter d'autres affaires aux années suivantes.
Si le frein à l'endettement exige des adaptations par rapport à la planification, même un plafond de dépenses autorisé est soumis à des programmes d'économie. Par rapport à l'ancienne planification intégrée des dépenses et des finances, l'armée dispose de moins de moyens que prévu : moins 286 millions en 2024 ; moins 522 millions en 2025 ; moins 796 millions en 2026. L'enjeu est de taille pour l'armée cette année. D'ici la fin de la première semaine de la session de printemps, le Conseil fédéral devrait transmettre au Parlement les propositions pour les crédits budgétaires 2025 avec incidences financières, qui incluent également l'armée. Le plafond de dépenses 2025-2028 sera également présenté dans le cadre du message sur l'armée 2024, qui sera pour la première fois conçu comme un message sur les capacités. Lors de l'examen de ces messages au cours des sessions d'été et d'automne 2024, le Parlement pourra montrer qu'il prend au sérieux le renforcement de l'armée.
Conclusion : si l'on attend jusqu'après 2028 pour procéder à des investissements importants (remplacement du M109, ESSI, maintien de la valeur du Leo-2, etc. Les délais d'acquisition et de livraison sont estimés de manière optimiste à sept à dix ans. Il est donc essentiel qu'un crédit d'engagement (et non une somme d'argent) soit accordé le plus rapidement possible à partir de 2025. Ce n'est qu'ainsi qu'ar-masuisse pourra élaborer un plan d'acquisition avec les fournisseurs et prendre des engagements, notamment pour des livraisons qui auront lieu au début des années 2030.
Si les critiques argumentent qu'il n'est pas possible de voter un crédit d'engagement alors que l'argent disponible est insuffisant, je recommande de relire la chronique.
Citation : "Promettre de l'argent, recevoir de l'argent et dépenser de l'argent sont des choses très différentes".
Dominik Knill, Président de la SSO
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